L'idée de Nicolas Sarkozy de faire assurer par les enfants des écoles élémentaires la mémoire des enfants juifs victimes de la Shoah pose un vrai problème sur la fonction de l'École ...
Qu'elle participe à la vie de la République en participant à la diffusion de valeurs est une chose, une bonne chose. Qu'elle s'éloigne de ce qui fait la spécificité d'un enseignement républicain est autre chose.
En l'occurrence, l'éducation apportée par l'école publique a pour mission d'apprendre aux enfants à dépasser les perceptions immédiates et les émotions en s'appuyant sur la raison. Et quand elle s'occupe de sensibilité –dans l'enseignement artistique et littéraire pas exemple– c'est pour apprendre à distinguer sensibilité et sentimentalisme.
En ce qui concerne la connaissance du passé, le rôle de l'éducation républicaine c'est d'amener l'élève à éviter la confusion entre la mémoire et l'histoire. C'est une tâche délicate qu'un historien maîtrise, mais que les enseignants qui ne sont pas tous historiens, ne peuvent assurer qu'au prix de grandes précautions, surtout lorsqu'ils abordent l'histoire récente.
C'est pourquoi la demande de Nicolas Sarkozy ne peut qu'introduire de la confusion dans la mission des enseignants et dans celle de l'Éducation nationale.
4 commentaires:
La préservation de la mémoire, telle qu'imposée par Nicolas Sarkozy, et le rejet quasi-général et naturel qu'elle suscite illustrent de manière opportune la deuxième question soulevée dans le commentaire sur le rapport Pochard : "La mission essentielle d'un enseignant est d'instruire, la fonction "éducation" n'intervenant que comme un complément naturel". Enseigner la Shoah est un devoir d'histoire et de citoyenneté encore plus que de mémoire. Enseigner la Shoah, c'est instruire, c'est transmettre, c'est donner à réfléchir. Transmettre l'outil, enseigner son usage, voici la fonction éducative de l'enseignant. Là s'arrête sa fonction.
Entre la transmission d'outils débouchant sur l'enrichissement de l'être humain et la transmission de dogmes fixant les choses ad vitam aeternam, entre l'instituteur et le curé, le choix est affaire individuelle et ne relève d'aucune autorité, fût-elle présidentielle ou ecclésiastique.
La dimension émotive est un des éléments qui parfois aide à la prise en compte des drames de l'Histoire. C'est un outil cependant à manier avec précautions pour l'enseignant que je suis. Néanmoins, il est difficile d'aborder un sujet comme la shoah sans ce rapport au sensible, d'abord parce que les documents proposés aux élèves (ceux dont je parle sont en troisième)sont des témoignages forts et souvent très lourds. Mais notre rôle n'est pas de faire pleurer ou de choquer. A juste titre peut-on espérer marquer les esprits... Il me semble cependant que notre mission est de faire réfléchir, et de donner des clefs pour la compréhension des évènements dans un but certes de mémoire, mais au-delà, dans une optique de conscience civique avertie. Cette dernière dimension me paraît difficile à transmettre à l'école primaire, où effectivement, c'est l'émotion qui risque fort de primer sur tout autre chose. On peut certes faire passer beaucoup de choses à des élèves de CM2, mais il y a un temps me semble-t-il pour tout. Et ce projet de rattachement de deux identités similaires (l'enfant juif exterminé et l'enfant de CM2 d'aujourd'hui) me paraît plus relevé de la sensiblerie et de l'émotion immédiate, afin de frapper les esprits pour ne pas oublier... Mais qu'on soit rassuré ! Ce n'est pas parce que les élèves de CM2 n'ont pas un alter-ego d'un temps passé en mémoire qu'ils ne seront pas amenés à posséder cette mémoire des drames passés et la conscience des drames futurs (ou actuels) à éviter ou à combattre. En cela, on ne vise pas à enseigner, on vise avec ce projet, je pense, à faire croire que la société pourrait risquer de perdre l'idée que la shoah a été un drame pour l'humanité toute entière... Ce auquel je crois peu d'une part ! Et ce qui ne pourrait pas se régler par cette identification artificielle (on attend d'ailleurs les modalités ! Faudra-t-il que chaque enfant porte avec lui la photo d'un désormais camarade... mort ?)
Chaque année en classe de Cm2 , je travaillais sur le thème de la Shoah. C’est au programme d’histoire.
Ainsi en 2005 pour le 60ème anniversaire de la libération des camps, des publications pour scolaires furent éditées et j’ai reçu comme tout enseignant de primaire, un courrier de Me Simone Veil alors présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah,nous invitant à travailler sur ce thème.
” Devant ce mur, passeront aussi des classes d’élèves, des jeunes dont beaucoup n’auront sans doute jamais entendu parler de la Shoah, à moins que l’école, comme elle le fait depuis quelques années, assume pleinement sa mission d’enseignement de l’histoire. En effet,la mémoire de la Shoah ne peut pas être seulement portée par les victilmes et leurs descendants…
Discours de Me Simone Veil le 23 janvier 2005
Le Président de la République en 2008 lors du dîner du C.R.I.F. a malheureusement donné une dimension particulière à ce fait.
Ce fut une “bonne mauvaise” idée.
Bonne… car il est sain que des enfants de CM aient connaissance de cette tragédie historique.
Mauvaise … dans la forme imposée :
” Un enfant d’aujourd’hui - Un enfant juif déporté de France”
Dès la connaissance de cette proposition : j’ai saisi la dimension de l’erreur et malheureusement du tollé à venir.
Le choix d’une classe et pourquoi pas d’une école primaire toute entière me semble plus judicieux.
Chaque école de France porte le nom d’un personnage emblématique de notre histoire .
L’école dans laquelle j’enseigne maintenant en CP porte le nom de Jean Moulin .
Je verrais bien ce nom prestigieux associé à un enfant juif déporté de France.
Les classes de CM ayant pour tâche chaque année de faire revivre la mémoire de cet enfant à travers une journée .
Ceci sous différentes formes.
Ainsi, en serait-il pour chaque école primaire de France.
Il ya quelques années j’avais consulté “le Livre Mémorial des enfants juifs déportés de France ” de Serge Klarsfeld.
Je garderai en mémoire la photo d’un gamin d’une dizaine d’années, déporté en Lituanie et mort dans les mines.
Ce livre n’aurait-il pas sa place dans chaque mairie de France ?
Livre, Mémorial, porteur de milliers d’informations et photos qui serait consultable pour tous les établissements scolaires de la commune (primaire, collège, lycée )
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