Qui a relevé que les futurs bacheliers de la série L n'auraient plus aucun enseignement de sciences ni de mathématiques en terminale ? Qui s'est inquiété de cet éloignement de la rationalité scientifique à laquelle la réforme du lycée condamne les élèves qui auront suivi cette filière ? Personne.
L'agitation médiatique s'est concentrée autour de l'enseignement de l'histoire dans la série S, ce qui ne peut manquer de mettre mal à l'aise ceux qui adoptent un point de vue républicain sur le fonctionnement du lycée. Car cette manière de voler au secours du bac S, c'est-à-dire de la classe d'élite du lycée, est bien étrange, suspecte même.
Défendre l'enseignement de l'histoire passerait par d'autres exigences. Par exemple celle d'introduire un enseignement historique dans les filières technologiques qui en sont totalement privées. Ou encore celle d'intégrer systématiquement l'histoire des sciences et des techniques dans les formations supérieures des scientifiques et des techniciens.
Le déclenchement de cette agitation est le fait de ce qu'il faut bien appeler la corporation des historiens, une corporation qui ne comporte pas que des enseignants, mais aussi des journalistes, des écrivains, des hommes politiques. Elle dispose donc de relais très efficaces, et prompts à se mobiliser, comme on a pu le constater.
Depuis le XIX° siècle, la corporation a réussi à convaincre de l'absolue nécessité de l'enseignement de la discipline. Ainsi l'histoire a-t-elle été intégrée à la culture générale, ce qui est hautement positif. De là à dire que l'histoire est indispensable pour comprendre le monde, il y a un pas qui est un peu trop vite franchi. D'autres sciences sociales sont largement aussi importantes, mais elle ne bénéficient pas de la même même sollicitude. C'est bien dommage : l'économie, la géographie, la sociologie, elles aussi, sont indispensables et mériteraient largement de faire partie de la culture de l'honnête du XXI° siècle.
Enfin : on peut se demander ce qui menace le plus l'enseignement de l'histoire : l'horaire facultatif en terminale S ou le projet de limiter la formation de ceux qui devront l'enseigner à un vague compagnonnage auprès de leurs collègues. Car enfin, il faudra expliquer en quoi la connaissance approfondie d'un aspect de l'Histoire sanctionnée par un mastère, est une garantie pour la transmission du savoir historique et un entrainement à la pratique de cette transmission.
vendredi 11 décembre 2009
dimanche 15 novembre 2009
L'apprentissage pour sortir de l'obligation scolaire ?
Alors que la moindre réforme du lycée déclenche contestations, débats et polémiques, la réforme des formations professionnelles s'est tenue dans une totale indifférence médiatique et politique. Le projet de loi a été adoptée par le Parlement le 13 octobre dans la discrétion.
On y relève la proposition faite aux d’élèves de quinze ans de poursuivre leur scolarité dans un Centre de Formation d'Apprentis afin d’y préparer un projet d’apprentissage.
« Art. L. 337-3-1. – Les centres de formation d'apprentis peuvent accueillir, pour une durée maximale d'un an, les élèves ayant atteint l'âge de quinze ans pour leur permettre de suivre, sous statut scolaire, une formation en alternance destinée à leur faire découvrir un environnement professionnel correspondant à un projet d'entrée en apprentissage. » Art 13 bis BB.
Pourquoi 15 ans, alors que la scolarité est obligatoire jusqu'à 16 ans ? Pourquoi cette insistance à vouloir faire sortir de la scolarisation les jeunes ?
À croire que les Sénateurs qui ont ajouté cet article n'ont pas pris acte des objectifs spécifiques du Collège, dernier moment de la scolarité commune : acquérir un « socle commun de connaissances et de compétences ». Cette vocation du Collège offre une belle perspective, celle de sortir d'en finir avec les filières de relégation (classes de transition, CPPN, quatrièmes et troisièmes techno) qui ont empêché le fonctionnement d'un collège authentiquement unique.
Alors, il faut rappeler les observations internationales, qui convergent vers le même constat : les systèmes éducatifs à filières, ceux qui séparent les jeunes avant la fin de la scolarité obligatoire, sont non seulement les plus inégalitaires, mais aussi les moins efficaces, et ceux qui produisent le plus d'échecs.
Ce que certains traduisent brutalement : « Si vous séparez les bons et les mauvais, vous ne faites pas tellement augmenter le niveau des bons, vous faites beaucoup baisser celui des mauvais, et donc la société y perd au bout du compte. » (François Dubet, interview dans le Nouvel Observateur, 27/8/2009)
L'apprentissage est une modalité intéressante de formation quand on est avec un bon maître d'apprentissage ... Alors, pourquoi en faire une porte dérobée pour les élèves qui ne savent plus pourquoi ils sont au collège, pour les parents qui ont perdu toute confiance en l'École, pour les enseignants qui ne savent plus comment retenir l'attention de leurs élèves.
Il serait bien plus responsable, politiquement parlant, de mobiliser tous les acteurs sur la nécessité de mener à terme la scolarité de chacun, et de rechercher les moyens de mener à bon port la scolarité de toute notre jeunesse, bref de s'assurer que le principe d'égalité est bien à l'œuvre dans notre système éducatif !
On y relève la proposition faite aux d’élèves de quinze ans de poursuivre leur scolarité dans un Centre de Formation d'Apprentis afin d’y préparer un projet d’apprentissage.
« Art. L. 337-3-1. – Les centres de formation d'apprentis peuvent accueillir, pour une durée maximale d'un an, les élèves ayant atteint l'âge de quinze ans pour leur permettre de suivre, sous statut scolaire, une formation en alternance destinée à leur faire découvrir un environnement professionnel correspondant à un projet d'entrée en apprentissage. » Art 13 bis BB.
Pourquoi 15 ans, alors que la scolarité est obligatoire jusqu'à 16 ans ? Pourquoi cette insistance à vouloir faire sortir de la scolarisation les jeunes ?
À croire que les Sénateurs qui ont ajouté cet article n'ont pas pris acte des objectifs spécifiques du Collège, dernier moment de la scolarité commune : acquérir un « socle commun de connaissances et de compétences ». Cette vocation du Collège offre une belle perspective, celle de sortir d'en finir avec les filières de relégation (classes de transition, CPPN, quatrièmes et troisièmes techno) qui ont empêché le fonctionnement d'un collège authentiquement unique.
Alors, il faut rappeler les observations internationales, qui convergent vers le même constat : les systèmes éducatifs à filières, ceux qui séparent les jeunes avant la fin de la scolarité obligatoire, sont non seulement les plus inégalitaires, mais aussi les moins efficaces, et ceux qui produisent le plus d'échecs.
Ce que certains traduisent brutalement : « Si vous séparez les bons et les mauvais, vous ne faites pas tellement augmenter le niveau des bons, vous faites beaucoup baisser celui des mauvais, et donc la société y perd au bout du compte. » (François Dubet, interview dans le Nouvel Observateur, 27/8/2009)
L'apprentissage est une modalité intéressante de formation quand on est avec un bon maître d'apprentissage ... Alors, pourquoi en faire une porte dérobée pour les élèves qui ne savent plus pourquoi ils sont au collège, pour les parents qui ont perdu toute confiance en l'École, pour les enseignants qui ne savent plus comment retenir l'attention de leurs élèves.
Il serait bien plus responsable, politiquement parlant, de mobiliser tous les acteurs sur la nécessité de mener à terme la scolarité de chacun, et de rechercher les moyens de mener à bon port la scolarité de toute notre jeunesse, bref de s'assurer que le principe d'égalité est bien à l'œuvre dans notre système éducatif !
lundi 26 octobre 2009
La loi Carle a été votée : elle préfigure le chèque-éducation
La loi Carle a été votée le 28 septembre. Elle contient une disposition qui va obliger les communes à financer les écoles publiques ET privées accueillant des enfants venant d'autres communes. C'est une aggravation de la loi Debré qui limitait l'obligation des communes aux écoles situées sur leur territoire. Seul comptera le choix de la famille ; les Maires n'auront aucun avis à formuler, ils n'auront qu'à payer.
La loi Debré respectait, d'une certaine manière, l'idée de service public de l'éducation. Avec la loi Carle, on propose une relation commerciale entre l'usager et l'établissement scolaire. La nouvelle loi fait primer la logique marchande sur la logique de service public, l'intérêt particulier sur l'intérêt général.
La loi Carle représente une étape vers un libre marché scolaire avec l'attribution d'une sorte de chèque-éducation, ce chèque-éducation cher au Front National.
La loi Carle inscrit dans le droit positif, pour la première fois, une obligation de financement liée à la « liberté d'enseignement », ce qui semble peut compatible avec la Constitution. Autre aspect particulièrement contestable : la « parité » entre enseignement public et privé. Mais voilà : les recours déposés devant le Conseil Constitutionnel n'ont pas abouti.
Elle va favoriser la scolarisation dans les écoles privées ; elle va permettre de financer une concurrence inutile et néfaste entre enseignement public et enseignement privé.
Comme le disent Muriel FITOUSSI et Eddy KHALDI (Main basse sur l’école publique, Demopolis, 2008) : " Nanterre paiera pour Neuilly" ! La banlieue paiera pour la ville, les communes rurales seront pénalisées avec un risque fort d’exode scolaire.
La loi Carle va faire augmenter les dépenses d’éducation des communes. Sauf dans les communes où on renoncera à investir dans une construction scolaire, parce que rien ne garantit que la fréquentation sera au rendez-vous !
Sauf lorsque les communes et collectivités locales refuseront de financer les dépenses facultatives des établissements privés.
La loi Debré respectait, d'une certaine manière, l'idée de service public de l'éducation. Avec la loi Carle, on propose une relation commerciale entre l'usager et l'établissement scolaire. La nouvelle loi fait primer la logique marchande sur la logique de service public, l'intérêt particulier sur l'intérêt général.
La loi Carle représente une étape vers un libre marché scolaire avec l'attribution d'une sorte de chèque-éducation, ce chèque-éducation cher au Front National.
La loi Carle inscrit dans le droit positif, pour la première fois, une obligation de financement liée à la « liberté d'enseignement », ce qui semble peut compatible avec la Constitution. Autre aspect particulièrement contestable : la « parité » entre enseignement public et privé. Mais voilà : les recours déposés devant le Conseil Constitutionnel n'ont pas abouti.
Elle va favoriser la scolarisation dans les écoles privées ; elle va permettre de financer une concurrence inutile et néfaste entre enseignement public et enseignement privé.
Comme le disent Muriel FITOUSSI et Eddy KHALDI (Main basse sur l’école publique, Demopolis, 2008) : " Nanterre paiera pour Neuilly" ! La banlieue paiera pour la ville, les communes rurales seront pénalisées avec un risque fort d’exode scolaire.
La loi Carle va faire augmenter les dépenses d’éducation des communes. Sauf dans les communes où on renoncera à investir dans une construction scolaire, parce que rien ne garantit que la fréquentation sera au rendez-vous !
Sauf lorsque les communes et collectivités locales refuseront de financer les dépenses facultatives des établissements privés.
Libellés :
école publique,
laïcité,
Loi Carle,
politique de l'éducation
jeudi 22 octobre 2009
Le lycée entre démocratie et élitisme
En présentant la création des lycées en 1802 comme un acte signifiant « la fin des privilèges de naissance » le Président de la République ne signale qu'une partie de la réalité historique. Rappelons le contexte et quelques autres éléments non moins significatifs.
La loi du 11 floréal an X clôt le débat ouvert en 1789 pour trouver le meilleur moyen d'assurer l'instruction des futurs citoyens et l'éducation de la Nation, selon le vocabulaire de l'époque. Bonaparte règle ce débat en laissant de côté l'éducation de tous et en décrétant que le rôle de la Nation est de former les cadres de la Nation, et bientôt de l'Empire.
L'idée ne sera pas fondamentalement mise en cause par la Restauration, ni par les régimes suivants, puisque l'enseignement primaire qui se constitue sous la Monarchie de juillet va se développer (et avec quel succès après Jules Ferry) complètement à part de l'enseignement secondaire. Il faut attendre le Front populaire pour que les timides rapprochements réalisés sur le terrain évoluent vers « l'école unique » réclamée depuis plusieurs années. Mais les traces concrètes de la triple filière (enseignement primaire, enseignement secondaire, enseignement technique) subsistent jusqu'aux débuts de la V° République et peuvent expliquer la résistance de l'institution à devenir un lycée pour tous !
Si le Lycée d'aujourd'hui peut s'enorgueillir d'intentions démocratiques qui l'ont fait naitre, il lui reste aussi des traces des objectifs élitaires du lycée de Napoléon. Dire que le Lycée en est prisonnier serait lui faire un mauvais procès, mais lui donner uniquement les qualités -démocratisation- de ces mêmes intentions est également illusoire.
En fait, le lycée d'aujourd'hui est tiraillé entre plusieurs tentations : espace de diffusion au plus grand nombre de la culture classique, marchepied pour accéder aux grandes écoles, lieu de diffusion d'un enseignement « secondaire » (mais cette notion n'est guère comprise que par les professionnels de l'éducation), lieu de bachotage (c'est-à-dire d'entrainement systématique au passage du baccalauréat), voie de garage pour achever son adolescence, ... Ces ambivalences sont sources d'incompréhensions permanentes chez les lycéens.
Plus préoccupant : le lycée étant le passage nécessaire à l'obtention du diplôme-phare, le bac, il devient le modèle et/ou l'objectif de tous les niveaux d'enseignement : collège, école élémentaire, voire école maternelle et enseignement supérieur, ce qui est une manière de nier la spécificité de chacun de ces moments de la scolarité, et qui en perturbe la compréhension dans le public. Les réformes peuvent apporter des solutions techniques pour sortir de cette situation,surtout s'il s'agit de réformes de fond et non de retouches marginales. Mais seul un vrai débat public, permettra de trouver un accord sur la fonction du Lycée dans la République.
La loi du 11 floréal an X clôt le débat ouvert en 1789 pour trouver le meilleur moyen d'assurer l'instruction des futurs citoyens et l'éducation de la Nation, selon le vocabulaire de l'époque. Bonaparte règle ce débat en laissant de côté l'éducation de tous et en décrétant que le rôle de la Nation est de former les cadres de la Nation, et bientôt de l'Empire.
L'idée ne sera pas fondamentalement mise en cause par la Restauration, ni par les régimes suivants, puisque l'enseignement primaire qui se constitue sous la Monarchie de juillet va se développer (et avec quel succès après Jules Ferry) complètement à part de l'enseignement secondaire. Il faut attendre le Front populaire pour que les timides rapprochements réalisés sur le terrain évoluent vers « l'école unique » réclamée depuis plusieurs années. Mais les traces concrètes de la triple filière (enseignement primaire, enseignement secondaire, enseignement technique) subsistent jusqu'aux débuts de la V° République et peuvent expliquer la résistance de l'institution à devenir un lycée pour tous !
Si le Lycée d'aujourd'hui peut s'enorgueillir d'intentions démocratiques qui l'ont fait naitre, il lui reste aussi des traces des objectifs élitaires du lycée de Napoléon. Dire que le Lycée en est prisonnier serait lui faire un mauvais procès, mais lui donner uniquement les qualités -démocratisation- de ces mêmes intentions est également illusoire.
En fait, le lycée d'aujourd'hui est tiraillé entre plusieurs tentations : espace de diffusion au plus grand nombre de la culture classique, marchepied pour accéder aux grandes écoles, lieu de diffusion d'un enseignement « secondaire » (mais cette notion n'est guère comprise que par les professionnels de l'éducation), lieu de bachotage (c'est-à-dire d'entrainement systématique au passage du baccalauréat), voie de garage pour achever son adolescence, ... Ces ambivalences sont sources d'incompréhensions permanentes chez les lycéens.
Plus préoccupant : le lycée étant le passage nécessaire à l'obtention du diplôme-phare, le bac, il devient le modèle et/ou l'objectif de tous les niveaux d'enseignement : collège, école élémentaire, voire école maternelle et enseignement supérieur, ce qui est une manière de nier la spécificité de chacun de ces moments de la scolarité, et qui en perturbe la compréhension dans le public. Les réformes peuvent apporter des solutions techniques pour sortir de cette situation,surtout s'il s'agit de réformes de fond et non de retouches marginales. Mais seul un vrai débat public, permettra de trouver un accord sur la fonction du Lycée dans la République.
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